Costume
C’est la saison des maillots de bain une blague horrible oui je ne sais pas gérer la crise les tiroirs de ma commode qui me jettent les restants étirés de l’année dernière et le marketing s’amuse sous les tropiques à graver le jugement sur toutes les saillies de nos corps pendant qu’on se la gèle allongées en bobettes sur la table de l’esthéticienne qui nous a dit que c’était laid des poils sur une femme la première fois c’était peut-être les annonces de rasoir oh baby she’s got it une déesse une Vénus promise
sur les emballages roses c’était peut-être ma mère qui cachait les repousses sur ses jambes avec des pantalons l’été le péril des shorts et des maillots de bain tu te vois pleine de plis et de rondeurs tu te vois parcourue de varices de cellulite de cicatrices tu te vois en toute pilosité tu te vois trop maigre trop visible stigmates de la génétique et tu angoisses d’enlever ta serviette
la chaleur cesse de compter à quoi bon la plage la piscine municipale une perte de plaisir croissante dans les regards attraper des jugements comme des coups de soleil ma spécialité le chlore dans les yeux n’y voir plus que la chirurgie dominante et toutes à genoux suppliant de changer de peau étire-moi un bout de face gonfle-moi l’égo par la pommette s’effacer les traits avec des resurfaceuses le corps liquid paper le corps bois de grève le corps à la sableuse enlever tout ce qui dépasse puis vernir plus rien ne bouge des statues dans des maillots hors de prix même pas conçus pour aller dans l’eau ça serait déjà trop se mouiller que d’essayer la vérité dans la cabine d’essayage tout le monde est moche au Bikini Village néon par-dessus néon les courbes en chute libre dans le jeu des miroirs envie de se mettre en morceaux devenir grain de sable avalé par la climatisation centrale mais on s’enfarge dans les cintres les présentoirs les bretelles tellement ajustables qu’on veut se les serrer autour du cou jusqu’à temps que notre tête éclate sous la pression atmosphérique
la saison des maillots une insolation mentale à se croire jamais assez jamais suffisante ramasser son estime en catastrophe dans la sortie du magasin pis en échapper toujours un peu au rayon des slogans tonitruants la perfection pèse plus lourd que notre propre poids rentre ton ventre rentre tes fesses rentre-toi toute en dedans pis ne sors plus jamais avant d’avoir trouvé ton corps de plage message placardé ad nauseam chercher la minceur au lieu d’un corps bien à soi
chaque fois je me tais
je ne suis pas valide
j’ai le privilège d’être mince
pourtant la saison des maillots me ravage quand même tant de beautés qui ne me ressemblent pas me bousillent le cerveau mais je ne veux pas être une copie délavée d’une autre j’aime mieux avoir des vergetures plutôt que mourir de faim pour des commerciaux qui glorifient les femmes en plastique ma chair mes graisses mes muscles mes organes mes glandes mes os méritent mieux
j’aimerais brûler tous les maillots de bain
mais mon corps nu me bouleverse encore davantage.