Dedans
Il apparaît à la fenêtre, elle le voit s’approcher. Seul son regard dévoile ses intentions perfides. Elle appréhende le pire, elle a raison. La souffrance anticipée augmente son rythme cardiaque. Il frappe violemment sur la porte. Il veut rentrer chez elle, sans être invité. C’est ce qui le stimule : forcer l’entrée d’une inconnue désarmée. Il donne des coups si forts sur la porte que la serrure cède sous le choc. L’acte est prémédité. Il sait que la frontière entre l’extérieur et l’intérieur est franchissable. L’inconnu semble n’avoir aucune pitié pour cette maison; lieu dans lequel ses souvenirs et son avenir sont regroupés. Il casse les parois et prend bien soin d’anéantir de fragiles parties dont la valeur est sacrée. Elle est enivrée d’anxiété et dévorée par l’impuissance. Le besoin de se cacher aussi loin qu’il lui est physiquement possible la saisit. Elle se réfugie dans un cloître que seule elle connaît et où il ne pourra jamais la trouver. Un endroit réservé à ce type d’urgence, permettant de fuir la réalité. Malgré la proximité, elle est loin de lui. Il ne peut l’atteindre. Le prédateur ferme les poings. Ses coups fracassent les murs. Tout souvenir de bonheur se voit empreint de marques pénibles.
Les fenêtres commencent à s’embrumer. Elle force le regard, espérant percevoir une silhouette au loin; quelqu’un qui pourrait la libérer de l’horreur qui la guette. Personne. Elle est seule avec le tyran, qui la traîne violemment vers le néant, d’où elle ne peut s’évader. L’angoisse d’être prisonnière de ces murs, qui se referment sur elle, la fait suffoquer. La panique s’empare d’elle à l’idée que ce lieu la livre plutôt que de la protéger. Un sentiment de claustrophobie l’envahit. Crier pourrait signaler son désarroi, mais atteindrait en premier celui qu’elle tente d’éviter à tout prix. Elle est prise au piège. Ce sentiment lui fait prendre conscience de l’inconstance de sa respiration. Il n’y a pas de sortie. Son souffle névrotique secoue sa cage thoracique. Une sueur glaciale l’enveloppe. Ses os deviennent les barreaux d’un cachot qui la condamne à une insoutenable agonie.
Sa maison demeurera à jamais hantée par la bestialité. Cet endroit dans lequel sa vie se construisait est annihilé: il n’est plus que débris, elle n’est plus être de chair, mais être de poussière. Sans considération pour la complexité avec laquelle cette bâtisse a été construite, il se plaît délibérément à la ravager. Comme à la suite d’un feu qui persécute de ses flammes dévastatrices pour balayer entièrement l’intérieur. L’homme jouit d’un sentiment de domination indécent dans un espace qui lui est proscrit. Il en prend possession et administre son pouvoir ravageur sans broncher. La structure de son sanctuaire se fait entièrement démolir par l’impitoyable bourreau. Son poison contamine les lieux. Il dépouille son habitacle et le transforme en excrément infâme. L’inonde d’une lugubre brutalité. Le venin arrose l’intégralité des pièces. Il veut la destruction, celle qui est irréversible. Pulsion de pulvérisation.
C’est un meurtre. Il déloge un être qui se retrouve à jamais dénudé de son antre. Elle ne se sentira plus jamais à l’abri. Son foyer ne lui appartient plus. Consumée par le vide, elle se voit infliger un destin insoutenable. Condamnée à d’éternelles séquelles. Sa maison devient une prison qui la prive de tout sentiment de sécurité. Pour nourrir sa soif de pouvoir, il doit la réduire à néant. Le bandit pénètre les trois chambres, après en avoir forcé l’entrée et détruit l’accès. Aucune n’est exemptée. Les portes sont vulnérables devant cette barbarie sanglante qu’elles ne peuvent freiner. Après son départ, il ne doit rester que les cendres. Le feu n’épargne rien. Il enflamme les murs de chaque pièce. La douleur doit régner ; celle d’une brûlure qui s’infiltre jusqu’au fond.
Elle tente de rester cachée en serrant les dents, les yeux gonflés de larmes. Elle se retient de toutes ses forces pour ne faire aucun bruit. Il ne doit pas la trouver. Chaque son pourrait le mener à elle, l’exciter davantage. Elle sait que plus rien ne sera pareil désormais. Elle doit se concentrer pour rester en vie. Elle ne peut échapper au massacre, mais elle doit y survivre. Même si, après l’acte, une partie d’elle-même sera morte à jamais. Une part considérable. Elle discerne les coups, les bris et les déchirures, mais elle résiste. Elle doit taire sa voix et demeurer immobile. À l’abri. Après avoir tout détruit, il partira. Tout a une fin. Il s’adresse à elle, mais ses mots lui parviennent de loin. Détruire son foyer ne suffit pas, il doit également verbaliser le massacre. Un violent vocabulaire et des épithètes humiliantes accompagnent l’acte ignoble qui est commis. Les mots résonnent et la pénètrent. La frontière entre l’intérieur et l’extérieur est définitivement annihilée. Puis, elle entend des cris de douleur stridents qui lui scient l’ouïe. Ce sont les siens. Il la trouve.
Elle fait face à un être humain fétide qui déborde de sadisme et prend plaisir à la souffrance d’autrui. Résignée à entendre ses invectives, elle hurle et l’implore d’arrêter. Mais ses gémissements contenus stimulent l’ignoble individu dans sa perversion. La possibilité de céder à la décrépitude déclenche en elle une peur accablante. La mort la guette. Au moment de cette réflexion, l’affliction devient insupportable. Les coups rythment ses cris hystériques, qui se perdent dans l’obscurité. Sa parole féminine se voit entièrement écrasée sous l’oppression machiste. Ses exhortations sont ignorées, puis ses cordes vocales étouffées. Elle est réduite au silence. Sa respiration n’est plus qu’un étouffement succombant aux convulsions. Il est à l’intérieur de cette pièce étroite qui permet d’expulser la fiente. Mais il l’en remplit avec acharnement. Le venin se propage et infecte tout d’un jet écumeux. Son temple devient son tombeau. Un massacre qui à jamais transforme le sujet en objet.
Il se rhabille. Il lui crache dessus. Et il abandonne ce corps souillé. Sa carcasse gît parmi les ordures qui revêtent la sombre ruelle.
Catharsis.
Je reste là, nue. Estropiée. Cloaque de sang. L’avilissement creuse l’abîme de mes souffrances. Je suis être d’abjection et ne puis me percevoir qu’avec répulsion, contaminée jusqu’aux entrailles. Je vois du noir. Je ne vois plus. Le noir m’ensevelit, je ne suis plus. Le vide m’entraîne, j’y succombe. La mort semble si douce maintenant. Quand je ne serai plus rien, je redeviendrai moi-même.