Du corps aliéné au corps résistant dans Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem de Maryse Condé
La question de la production d’un savoir qui interroge les dynamiques d’asservissement de sujets infériorisés, délégitimés et rendus Autres par ceux qui s’instituent comme dominants, comme la norme de référence, est l’un des enjeux fondamentaux de l’écriture de certains écrivains et écrivaines afro-caribéennes. Ainsi, à travers l’étude de leurs œuvres émerge souvent un questionnement sur les notions d’Identité et d’Altérité. Face à une histoire africaine et antillaise marquée par l’esclavage, entreprise massive de subordination des sujets et des corps noirs, ces rapports entre l’identité et l’altérité, entre le « Soi » et « l’Autre », sont marqués par une violence tant physique que discursive qui structure le corps social. À cet égard, Michel De Certeau, philosophe et historien français, affirme que « de la naissance au deuil, le droit se « saisit » des corps pour en faire son texte », et que « par toute sorte d’initiation (rituelle, scolaire, etc.), il les transforme en tables de la loi, en tableaux vivants des règles et coutumes, en acteurs du théâtre organisés par un ordre social » (De Certeau, 1979, p. 3). Il met par là en évidence la manière dont une société donnée grave ses règles et ses normes jusque dans la chair des individus, par un acte d’écriture qui tend à les rendre socialement lisibles, à les inscrire dans la collectivité comme sujets et à les soumettre à la loi. Cela soulève une dimension essentielle de l’usage de la violence pendant l’esclavage qui, par le recours aux sévices corporels et aux châtiments, vise à marquer les corps d’une loi implacable. Celle-ci décrète que ces corps réduits à la servitude appartiennent aux maîtres et maîtresses, que les individus soumis ne disposent plus d’eux-mêmes, dès lors qu’ils se trouvent altérisés et possédés par le dominant qui leur dénie humanité et agentivité.
Comment sortir de cette dualité entre dépossession et repossession de soi, où le dominant inscrit sa loi sur les corps et les malmène à sa guise ? C’est bien cette question que Maryse Condé soulève dans son roman Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem, lauréat en 1987 du prix littéraire d’Alain-Boucheron. Cette auteure guadeloupéenne, militante active des causes postcoloniales et présidente du Comité pour la Mémoire de l’Esclave de 2004 à 2008, propose ici une fiction autour de la figure historique de Tituba, une femme accusée de sorcellerie et emprisonnée à Salem pour ses prétendus méfaits. L’œuvre de Condé travaille la dynamique entre Identité et Altérité à travers le prisme de la question de la sorcellerie qui, au même titre que le système esclavagiste, nie violemment l’identité revendiquée par les sujets pour leur en imposer une autre. Au cours du roman, le corps de Tituba passe entre différentes mains, qui tentent tour à tour de le soumettre par des pratiques telles que les coups, le viol, l’emprisonnement et, finalement, la pendaison. Plus encore, son corps se trouve réifié par le biais d’une parole diabolisante, via un discours objectivant et déshumanisant qui renvoie à Tituba une image d’elle-même en tant qu’être maléfique et honni de tous. Pour elle, la résistance passe donc par une redéfinition de soi en dehors du discours des dominants. Celle-ci se manifeste par son alliance avec des figures de l’altérité qui la reconnaissent et l’acceptent à sa juste valeur, par sa pratique d’une forme de magie guérisseuse et par l’affranchissement de son corps du joug de l’esclavage. Le présent article propose un questionnement sur les rapports complexes entretenus par Tituba avec l’altérité ainsi qu’avec sa propre identité, et vise à comprendre selon quelles modalités elle parvient finalement à résister à l’oppression, puis à se reconquérir. D’une quête de l’Autre1Il importe à ce stade de préciser les termes employés. Dans la philosophie classique, le terme « altérité » renvoie à la fois au « caractère de ce qui est autre » et à une forme de « négation stricte de l’identité » (Voir Gérard Durozoi, André Roussel, Dictionnaire de Philosophie, Paris, Nathan, 2009, p. 13). Le concept d’ « autrui » est défini comme ce qui est « autre que moi, considéré non comme objet, mais comme autre sujet » (Ibid., p. 36). Pour Hégel, l’« Autre » est constitutif de l’être de la conscience, il permet au sujet de se définir, et ce, au terme d’une lutte à mort pour la reconnaissance. Or, dans le cadre d’un rapport d’oppression et d’inégalité, l’Autre n’est pas d’emblée celui qui se dresse en face du sujet : il est défini comme tel par des dominants qui s’instituent comme l’Absolu et l’essentiel, comme la norme de référence, et qui refusent de reconnaître comme sujet tout ce qui diffère d’eux (Voir Simone de Beauvoir, « Introduction », dans Le Deuxième Sexe I. Les faits et les mythes, Paris, Gallimard, 1949, p. 11-32). Dans le cadre de l’analyse du roman de Maryse Condé, nous emploierons les termes « les autres » et « altérité » pour désigner tous les sujets qui se trouvent en face du personnage de Tituba et qui participent à la fois à son oppression, à sa négation et à la définition de son identité ; quant au terme « Autre », il sera utilisé pour désigner Tituba en tant que personnage constamment marginalisé et altérisé par le regard de ses semblables, malgré ses tentatives de se réinvestir comme sujet et de se faire reconnaître comme tel. à une quête de Soi, Tituba transgresse sa condition de marginale et devient mythique.
Un corps altérisé et approprié par le dominant
Asservissement, contrôle et marquage du corps noir sous l’esclavage
En partant du postulat de Michel De Certeau selon lequel la loi se grave sur les sujets à l’aide d’outils qui « serre[nt], redresse[nt], coupe[nt], ouvr[ent] ou enferme[nt] des corps » (De Certeau, 1979, p. 4), nous pouvons postuler que le traitement fait au corps sous l’esclavage vise à inscrire jusque dans la chair un acte de propriété, qui octroie à celui ou celle qui possède ce corps le pouvoir de l’instrumentaliser au service de ses intérêts. En bon instrument de travail, l’esclave peut passer de main en main dès l’instant où il n’est plus utile à ses propriétaires. Il en va ainsi d’Abena, la mère de Tituba, laissée pour compte par le marin qui l’a violée, une fois sa besogne terminée ; refourguée à un esclave par son maître Darnell Davis, furieux d’avoir gâché de l’argent en achetant une femme enceinte, soit inutile. Tituba, fruit de ce viol initial, est en cela représentative de tout un peuple, « défait, dispersé, vendu à l’encan » (Condé, 1988, p. 16), puisque sa naissance est symbolique d’une objectification multidimensionnelle de la communauté noire. La relégation de l’esclave au rang d’objet se fait avant tout par des actions qui nient son humanité, qui lui refusent le droit de disposer de soi. Ainsi l’illustre le parcours de Tituba. Après l’assassinat de sa mère, cette dernière renonce à sa liberté pour suivre un homme, John Indien, en devenant l’esclave de Susanna Endicott. Une série d’événements tragiques la mène ensuite dans la maison de Samuel Parris, puis dans celle du juif Benjamin Cohen d’Azevedo. Peu importent les actions qu’elle intente pour s’échapper de la vie d’esclave, le sort qui l’attend est toujours
[…] un nouveau maître. Une nouvelle servitude. […] [Ê]tre précipitée dans les chairs d’une miséreuse, d’une égoïste, d’une garce qui se vengera sur nous des déboires de sa propre vie, faire partie de la cohorte des exploités, des humiliés, de ceux à qui on impose un nom, une langue, des croyances, ah, quel calvaire ! (Condé, 1988, p. 187)
Passer de maître en maître, c’est là la destinée de tout esclave dont le corps est marqué du sceau de l’altérité par un oppresseur qui dispose de lui comme d’un instrument de travail. Il serait d’ailleurs possible d’appréhender ces rapports de domination par le biais d’une conception capitaliste : le maître apparaîtrait alors comme un consommateur qui choisit son produit, qui peut observer l’objet qu’il veut acheter sous toutes ses coutures avant de le faire sien. Tituba devient un produit de consommation exposé aux regards d’acheteurs qui « inspecte[nt] », « tâte[nt] », « soulève[nt] » et jugent finalement : « « Je n’aime pas sa couleur ! » » (Condé, 1988, p. 187).
L’aliénation par le regard de l’Autre sur Soi
Ces actions concrètes de dépossession de soi par les autres, résultats de sa condition d’esclave, s’accompagnent aussi pour Tituba d’un regard qui achève de l’objectiver, de la déposséder de toute possibilité d’autodéfinition. Ayant choisi avant tout de vivre recluse, sa première confrontation avec l’altérité, les autres, lui fait prendre conscience de sa marginalité. Après s’être aventurée loin de sa case, Tituba croise par hasard des esclaves, et elle affirme que « cette rencontre avec les [s]iens fut lourde de conséquences » (Condé, 1988, p. 26). Ce contact avec ses semblables lui révèle qu’elle est crainte et stigmatisée en tant que sorcière, alors qu’elle ne s’est jamais présentée comme telle auprès de quiconque et qu’aucun de ces gens ne la connaît réellement. Plus encore, il lui apprend qu’elle est doublement marginalisée, à la fois par les Noirs dominés et par les Blancs dominants. Cette dissension entre le soi ressenti et le soi perçu pousse la jeune femme à s’interroger sur une identité qu’elle n’avait jusqu’ici jamais questionnée, qui lui avait toujours semblé aller de soi. Après la rencontre, vient le dialogue qui lui révèle qu’aux yeux des autres elle est illisible, et ce, parce qu’elle ne répond pas aux critères de sociabilité en place. John Indien lui explique d’ailleurs leur réaction : « Non, pas étonnant que les gens aient peur de toi. Tu ne sais pas parler et tes cheveux sont en broussaille. Pourtant, tu pourrais être belle » (Condé, 1988, p. 27). En vivant recluse, Tituba a, a priori, empêché le dominant de s’approprier son corps et de le marquer « (au fer rouge) du Nom et de la Loi » (De Certeau, 1979, p. 3). Plus encore, en refusant les outils qui auraient contribué à la rendre exemplaire par rapport au code, représentante du logos social (les beaux vêtements, la coiffure droite, le langage développé), elle s’est écartée des normes de la féminité et de la sociabilité érigées par les dominants et, ce faisant, elle a permis à ses semblables de construire une image d’elle en tant qu’être marginal et repoussant.
Comme le note Frantz Fanon, en s’intéressant à la dialectique hégélienne, l’une des caractéristiques principales de l’Homme est qu’il cherche à se faire reconnaître par l’autre en face de lui. Ainsi, « tant qu’il n’est pas effectivement reconnu par l’autre, c’est cet autre qui demeure le thème de son action. C’est de cet autre, de la reconnaissance de cet autre, que dépendent sa valeur et sa réalité humaines. C’est donc dans cet autre que se condense le sens de sa vie » (Fanon, 1952, p. 214). Après une rencontre où Tituba n’a pu être reconnue par ses comparses, car ils ne lui ont pas laissé l’opportunité de se dire, la jeune femme va entreprendre de découvrir son corps, d’en prendre acte en le lisant, pour se rendre à son tour lisible aux yeux des autres. Cette appréhension du corps passe par le toucher. Le questionnement identitaire s’amorce peu de temps après la rencontre : « jusqu’alors, je n’avais jamais songé à mon corps. Etais-je belle ? Etais-je laide ? Je l’ignorais », et se poursuit dans la conquête tactile du corps : « J’ôtai mes vêtements, me couchai et de la main, je parcourus mon corps. Il me sembla que ses renflements et ses courbes étaient harmonieux » (Condé, 1988, p. 30). Mais malgré les efforts de Tituba pour se rendre lisible socialement, en usant des différents « instruments » du corps (De Certeau, 1979, p. 11), comme les ciseaux qui égalisent sa coiffure ainsi que les beaux vêtements et bijoux qui l’inscrivent dans les normes de la féminité, les autres continueront à lui renvoyer en miroir une image d’elle qui entre en dissonance avec sa propre perception de son être. Quand elle entre au service de Susanna Endicott, la maîtresse de son amant John Indien, cette dernière refuse de la reconnaître et, pire encore, elle la nie, en posant sur elle un regard objectivant et aliénant. Tituba se désespère : « sous son regard d’eau marine, je perdais mes moyens, je n’étais plus que ce qu’elle voulait que je sois. Une grande bringue à la peau d’une couleur repoussante » (Condé, 1988, p. 47). Malgré son désir d’être reconnue en tant que sujet qui se définit elle-même, Tituba continue d’être altérisée, instituée comme Autre par ces regards venus de l’extérieur, et par là même rejetée à la fois de la communauté noire et de la société blanche.
Le discours sur la sorcellerie et la diabolisation du corps féminin noir
Le regard d’autrui, qui agit comme un miroir renvoyant au personnage une image falsifiée d’elle-même, s’accompagne d’un discours venu de l’altérité qui déshumanise la jeune femme et l’aliène. Tituba réalise peu à peu que son propre discours sur elle-même n’a pas autant de poids que celui que les autres entretiennent à son égard, parce qu’elle est marginale et n’appartient pas au groupe dominant. Les propos tenus par la classe dominante sur la sorcellerie sont de ce point de vue très révélateurs d’une dichotomie qui s’instaure peu à peu entre la vision que porte Tituba sur ces pratiques, et celle de la société puritaine blanche. En effet, Josée Tamiozzo explique dans son article « L’altérité et l’identité dans Moi, Tituba, Sorcière… Noire de Salem de Maryse Condé » que
[l]es Puritains veulent convertir tout le monde au christianisme et ils rejettent les traditions païennes tout en croyant fermement aux pouvoirs de la magie noire. Du même coup, ils rejettent le savoir et le pouvoir des femmes incarnées, entre autres, par les sages-femmes et les guérisseuses. Les Puritains projettent tout ce qu’ils considèrent comme mal dans le camp de Satan, ce qui nous amène à la superposition d’oppositions binaires suivante : Dieu/Satan ; Homme/Femme ; Blanc/Noir ; Religion catholique/Religion antillaise. Ces oppositions binaires superposées en justifient une autre : Libre/Esclave (2002, p. 126).
Le croisement des systèmes d’oppression qu’engendre cette perception puritaine blanche n’est pas sans rappeler la position occupée par Tituba à l’intersection des oppressions, en tant que Femme, Noire, esclave et de religion « antillaise ». Il n’est donc pas surprenant que la jeune femme se voit affublée du titre de « sorcière ». La première fois que Tituba est désignée ainsi par John Indien, elle est interpellée par la connotation négative qui colle à ce qualificatif : « Qu’est-ce qu’une sorcière ? Je m’apercevais que dans sa bouche, le mot était entaché d’opprobre. Comment cela ? Comment ? » (Condé, 1988, p. 33). Cependant, une fois que l’accusation de sorcellerie l’aura menée en prison, elle s’interrogera d’autant plus sur sa signification : « Pourquoi […] dans cette société, donne-t-on à la fonction de « sorcière » une connotation malfaisante ? La « sorcière », si nous devons employer ce mot, corrige, redresse, console, guérit » (Condé, 1988, p. 152). Son amie Hester lui rétorque immédiatement que « les sorcières font des choses étranges et maléfiques. Elles ne peuvent pas faire de miracles, qui ne peuvent être accomplis que par les Élus et les Ambassadeurs du seigneur » (Condé, 1988, p. 152). Il apparaît ainsi que, tandis que Tituba voit dans la sorcellerie une aspiration à faire le bien et à aider son prochain, les autres qui s’opposent à elle, les puritains blancs, conçoivent cette pratique comme une fraternisation évidente avec le Malin.
Dans son ouvrage Sorcières ! La Grande Chasse, Ludovic Viallet note à ce propos le caractère éminemment construit du « concept de sorcellerie » (2013, p. 34), dans lequel se retrouvent effectivement l’idée d’un pacte satanique ainsi que des accusations de déviances sexuelles, de participation au sabbat et de vol. Cette construction culturelle semble avoir pour but principal de désigner un bouc-émissaire, qui serait responsable de tous les maux qui frappent une société donnée. Viallet met également en évidence le rôle de la rumeur dans le processus de condamnation de la sorcière au XVe siècle : l’enquête débutait « lorsque bruits et murmures devenaient comme un cri collectif ; lorsque ce qui n’avait d’abord été qu’une pensée, ce qui avait coulé et grossi dans le flot des ragots de village, était devenu indice de la présence, au sein d’une communauté, d’un soldat de l’Ennemi » (2013, p. 146). À cet égard, dans l’œuvre de Condé, la récurrence de propositions telles que « des légendes commencèrent à circuler dans la prison », et de termes comme « on chuchotait », « on parlait », « on racontait », « on embellissait » (Condé, 1988, p. 182) met parfaitement en lumière le processus de propagation et d’institutionnalisation de la rumeur sur les pratiques de Tituba. En effet, cette rumeur se construit sur « des légendes» murmurées par des individus et qui se propagent peu à peu au sein d’un groupe, d’un « on » doxique qui établit collectivement le caractère indésirable d’un sujet.
Nous pouvons désormais postuler que l’accusation de sorcellerie qui pèse de plus en plus sur Tituba au fil du récit est tant le fait de sa couleur de peau, « signe de [s]on intimité avec le Malin » (Condé, 1988, p. 104) et « signe de [sa] damnation » (Condé, 1988, p. 68), que de son sexe. Associer le Mal à la noirceur de peau n’était en effet pas peu courant sous l’esclavage, particulièrement dans une société coloniale où la vision du monde était manichéenne, plaçant d’un côté une blanchité2 Le terme « blanchité » est la traduction du concept anglais « whiteness » et a été proposé par Judith Ezekiel en 2002. Il met en évidence le caractère construit de la catégorie « blanche » qui, au même titre que la catégorie « noire », est socialement instituée par la taxinomie des races et non pas naturelle. Plus encore, il révèle la dimension hégémonique et privilégiée de la catégorie « blanche », qui ne peut être limitée à une question de couleur comme le sous-entend le terme « blancheur ». Ce terme traduit les rapports asymétriques de domination, entre « Blancs » et « Noirs », qui structurent le social et parviennent à invisibiliser la blanchité, avec ses privilèges et ses pouvoirs. Voir à ce propos Maxime Cervulle, « La conscience dominante. Rapports sociaux de race et subjectivation », dans Cahiers du Genre, vol. 53, no 2, 2012, p. 37-54. pure, et, de l’autre côté, une négritude impie. Frantz Fanon, dans Les damnés de la terre, mentionne d’ailleurs que
[c]omme pour illustrer le caractère totalitaire de l’exploitation coloniale, le colon fait du colonisé une sorte de quintessence du mal. […] L’indigène est déclaré imperméable à l’éthique, absence de valeurs, mais aussi négation des valeurs. Il est, osons l’avouer, l’ennemi des valeurs. En ce sens, il est le mal absolu. Élément corrosif, détruisant tout ce qui l’approche, élément déformant, défigurant tout ce qui a trait à l’esthétique ou à la morale, dépositaire de forces maléfiques, instrument inconscient et irrécupérable de forces aveugles (1961, p. 33).
Lorsque nous ajoutons à cette conception d’une négritude représentée comme le berceau du mal, le statut féminin de Tituba et sa volonté de résistance face aux accusations infondées, il est aisé de comprendre que l’association de la protagoniste au Malin vise à l’exclure. Le complot n’est d’ailleurs rendu crédible que parce qu’il s’ancre dans un contexte discursif préalable qui l’accusait déjà, c’est-à-dire dans un discours axiologique qui l’a a priori construite comme une figure de l’Autre, comme un être impie et déviant. Puisque le discours social avait préétabli qu’elle était maléfique parce que noire, l’étiquette « coupable » a pu lui être accolée avant même la découverte de preuves. La simple question « êtes-vous sorcière, Tituba ? » (Condé, 1988, p. 100) se transforme alors peu à peu en une affirmation criante, « Vous êtes une négresse, Tituba ! Vous ne pouvez que faire du mal. Vous êtes le mal ! » (Condé, 1988, p. 123), comme si finalement sa réponse importait peu. Le processus d’altérisation, de marginalisation et d’exclusion n’avait besoin que du discours produit par l’opposant au sujet, le dominant, pour se justifier.
Résister à l’aliénation : un sujet qui se reconquiert
Une parole dissidente : dire son identité et crier sa révolte
Le regard que la norme blanche dominante pose sur un personnage féminin en quête d’identité devient finalement une source d’oppression supplémentaire, dès lors qu’il s’accompagne d’un discours et d’actes concrets visant à la marginalisation et au rejet d’une identité qui ne répond pas aux codes. Pourtant, le comportement tant raciste que sexiste qu’entretiennent les autres à son égard pousse Tituba à réaffirmer son individualité, à se redéfinir pour s’écarter encore plus de la norme. Se dessine peu à peu le motif de la résistance, celle de Tituba face à l’oppression du blantriarcat3L’expression « blantriarcat » est un terme forgé par des militantes afroféministes, et notamment utilisé par les membres du collectif MWASI pour décrire la réalité du patriarcat blanc qui oppresse de manière spécifique les femmes noires. Voir à ce propos MWASI, « Notre ligne politique », 2015, récupéré de www.mwasicollectif.com/notre-ligne-politique/., qui passe par une remise en question des codes et discours qui régissent ce système : « Où était Satan ? Ne se cachait-il pas dans les plis des manteaux des juges ? Ne parlait-il pas par la voix des juristes et des hommes d’Église ? » (Condé, 1988, p. 182), s’interroge-t-elle. Poser un regard critique sur le monde qui l’altérise et la nie lui permet de mieux le combattre. Plus elle se sent attaquée, plus Tituba prend conscience de l’hypocrisie de la société blanche, qui se gargarise d’un discours religieux et puritain et qui n’applique pas la moitié des principes qu’elle valorise. Selon son hypothèse, cette société puritaine serait pourrie de l’intérieur, gangrénée par le racisme, et finalement bien plus à plaindre que les populations qu’elle relègue aux fers et aux champs. L’extrait suivant démontre l’état d’esprit de la jeune femme : « C’est peut-être parce qu’ils ont fait tant de mal à tous leurs semblables, à ceux-là parce qu’ils ont la peau noire, à ceux-là parce qu’ils l’ont rouge, qu’ils ont si fort le sentiment d’être damnés » (Condé, 1988, p. 78). Après tout, ces Blancs sont la cause principale du mal du siècle : l’esclavage, qui détruit plus l’humanité que n’importe quel diable.
Tituba opère en fait un renversement du paradigme blanchité-pureté/négritude-impiété, en affirmant avec vigueur une identité de guérisseuse qui se détache de celle qui lui a été attribuée à tort. À cet égard, lorsque tout le monde s’attend à ce qu’elle exerce ses pouvoirs occultes pour faire le mal, elle martèle : « Ah non ! ils ne me rendraient pas pareille à eux ! Je ne cèderai pas. Je ne ferais pas le mal ! » (Condé, 1988, p. 111). Même dans les moments de profond désespoir, elle reste fidèle au commandement de sa protectrice Man Yaya, qui lui a intimé : « Ne te laisse pas aller à l’esprit de vengeance. Utilise ton art pour servir les tiens et les soulager » (Condé, 1988, p. 51). En plus de résister à cette définition oppressante que les dominants tentent de lui accoler, elle refuse de plus en plus de prêter serment à une quelconque religion, encore moins au catholicisme dont l’exigence de confession lui paraît absurde. En refusant d’avouer ses pêchés à son deuxième maître Samuel Parris, elle prend le risque d’être battue. Cependant, il s’agit d’un moindre prix à payer pour garder un esprit libre et prêcher en sa propre croyance.
La résistance de Tituba aux pressions de l’altérité passe donc par une parole, un cri qui déchire le corps marqué par le fer et par la loi d’autrui. En effet, Michel De Certeau affirme que certains corps tentent d’échapper à « la loi du nommé » et de manifester leur différence, leur inconformité, par des cris de révolte ou d’extase (1979, p. 14). Pour rejoindre cette affirmation, nous pourrions postuler que les cris de souffrance de Tituba révèlent textuellement un corps non passif, un corps qui tente de s’échapper à la soumission de la loi, un corps résistant aux actions intentées pour l’assujettir. Ainsi s’exprime la révolte du sujet opprimé :
Je hurlai et plus je hurlais, plus j’éprouvais le désir de hurler. De hurler ma souffrance, ma révolte, mon impuissante colère. Quel était ce monde qui avait fait de moi une esclave, une orpheline, une paria ? Quel était ce monde qui me séparait des miens ? Qui m’obligeait à vivre parmi des gens qui ne parlaient pas ma langue, qui ne partageaient pas ma religion, dans un pays malgracieux, peu avenant ? (Condé, 1988, p. 81-82).
Ce corps rugissant de fureur et de désespoir face aux heurts infligés par les autres est aussi à même de se manifester dans d’autres cris, de jouissance ou de libération. Une fois Tituba sortie de prison, au moment où le gardien la libère de ses chaînes, le hurlement se fait expiatoire, et vient « salu[er] [s]on retour dans le monde », puisqu’à l’image d’un nouveau-né, elle doit « réapprendre à marcher » (Condé, 1988, p. 190) sans ses chaînes ; apprendre à vivre en dehors du carcan non pas maternel mais esclavagiste. À ce cri qui signe la renaissance d’un sujet enfin affranchi, répondent d’autres exclamations qui visent à réparer le tort causé à cette femme, à l’innocenter aux yeux de ses détracteurs. Jusqu’au bout, Tituba aura la force de s’écrier : « Jamais ! Jamais ! […] Je n’ai pas de complice puisque je n’ai rien fait ! » (Condé, 1988, p. 144).
La sexualité et l’avortement : récupérer son corps par le toucher
Si les actes de redéfinition de soi entamés par le personnage principal ont déjà été évoqués, il convient à présent de souligner le travail effectué par la jeune Tituba pour récupérer son corps. Bien que plane sans cesse sur elle le doute de la déviance sexuelle, elle continue coûte que coûte à assumer son désir, faisant de son corps, dans les moments d’intimité, son propre territoire. À ce propos, Tamiozzo postule que « [p]ar le regard qu’elle porte sur son corps, Tituba le définit d’une manière positive malgré les images négatives qui lui sont renvoyées par certaines personnes » (2002, p. 135). Par les actes masturbatoires et par les relations sexuelles avec différents hommes, elle affirme son désir sexuel et se rend désirable, non plus repoussante.
Paradoxalement, la reconquête du corps passe également par la pratique de l’avortement, qui devient l’ultime source de résistance du personnage féminin. En tant que femme esclave, il serait dans l’ordre des choses que Tituba enfante, puisqu’elle est dépositaire du rôle de reproduction sociale, voire un simple outil de « renouvellement de la main d’œuvre » (Davis, 2007, p. 11). Dans cette optique, l’avortement devient un acte de subversion de la matrice esclavagiste, tout en étant la démonstration d’une force de caractère étonnante. Si Tituba prend la décision de se priver de l’enfant de John Indien, le seul véritable amour de sa vie, c’est parce que « pour une esclave, la maternité n’est pas un bonheur. Elle revient à expulser dans un monde de servitude et d’abjection, un petit innocent dont il lui sera impossible de changer la destinée » (Condé, 1988, p. 83). Pour Derek O’Regan, « the infanticide carried out by Tituba not only represent[s] the release of the slave from a life of misery, but also crystallise[s] death as the ultimate form of refusal of the colonial status quo » (2006, p. 84). N’est-ce pas là une femme capable de résilience, que celle qui se prive d’une maternité désirée, et ce, pour épargner à l’enfant les peines qu’elle a elle-même souffertes ? L’infanticide apparaît comme un choix tellement déchirant qu’il pousse le personnage à écrire une « complainte pour [s]on enfant perdu » (Condé, 1988, p. 89), qu’elle fredonnera souvent en l’honneur de tous ces enfants tués dans le ventre, pour leur bien et pour celui de leurs mères. En effet, « le corps marchandise, le corps réifié » ne trouve libération que dans l’acte abortif, forme d’« autodévoration » (Naudillon, 2005, p. 80) entamée par le sujet pour se reconquérir.
La reconstruction identitaire : féminité, créolité et résistance
Dans un contexte où l’auto-flagellation devient la seule solution face à la subordination du corps exercée par les dominants, Tituba se voit forcée de se tourner vers de nouvelles figures d’altérité, celles des Invisibles. Les morts, particulièrement les femmes, apparaissent en effet dans ce roman comme les alliés du personnage, qui se tourne vers sa mère Abena, sa mentor Man Yaya et, plus tard, sa seule amie Hester pour trouver conseils et réconfort. Seules ces femmes lui seront fidèles jusqu’à la fin. Même son mari John Indien finira par lui tourner le dos, comme l’avaient prédit Man Yaya et Hester, car « Blancs ou Noirs, la vie sert trop bien les hommes ! » (Condé, 1988, p. 159). Paradoxalement, ces femmes décédées lui seront d’un plus grand secours que tous les hommes vivants qu’elle a pu rencontrer, et ce, parce qu’elles comprennent la spécificité des oppressions liées à sa condition de femme noire.
D’une manière générale, la mort n’a rien d’effrayant dans la société antillaise, encore moins quand on sait parler aux Invisibles comme le fait Tituba. Elle constitue une autre forme d’altérité guérisseuse, parce qu’elle est étroitement liée à un lieu, la Barbade, qui chaque jour insuffle le courage de survivre au personnage aliéné. En effet, il semble qu’une partie de la résistance de Tituba face aux Blancs soit motivée par son désir de retourner dans son pays natal. Dans ses moments de profond désespoir, notamment lorsqu’elle est faite prisonnière, l’imaginaire s’envole vers d’autres cieux et est apaisé par une mer maternelle, capable de soigner les maux de son enfant blessé : « La mer, c’est elle qui m’a guérie. Sa grande main humide en travers de mon front. Sa vapeur dans mes narines. Sa potion amère sur mes lèvres. Peu à peu, je recollais les morceaux de mon être. Peu à peu, je me reprenais à espérer » (Condé, 1988, p. 186). Cette culture des origines qui passe par l’imaginaire aide le personnage à surmonter une réalité aliénante, ce qui lui permet d’économiser ses forces pour faire front aux heurts du quotidien.
La résistance au regard de l’Histoire : Tituba, la Mulâtresse Solitude, Maryse Condé
Une fois affranchie par son dernier propriétaire, le juif Benjamin Cohen d’Azevedo, Tituba repart finalement pour la Barbade, où elle rejoint une communauté d’esclaves Marrons qui vivent dans la forêt. Elle tombe enceinte d’un jeune esclave, Iphigène, mais prend cette fois la décision de garder l’enfant, qu’elle espère être une fille. À ce moment de son parcours, il semble pertinent de souligner combien Tituba évoque une figure emblématique de la résistance guadeloupéenne, la Mulâtresse Solitude4 La Mûlatresse Solitude est une femme métisse, figure de la résistance guadeloupéenne qui participa au soulèvement de mai 1802 contre le rétablissement de l’esclavage dans les colonies des Antilles françaises. Elle est faite prisonnière et condamnée à être pendue pour avoir mené la rébellion. Voir à ce propos le dossier de l’UNESCO sur la Mulâtresse Solitude, qui se base sur des éléments tirés des archives guadeloupéennes : Édouard Joubeaud (dir.), « La Mulâtresse Solitude », Série UNESCO Femmes dans l’Histoire d’Afrique, 2014, récupéré de www.unesco.org/new/fileadmin/MULTIMEDIA/HQ/CI/CI/pdf/publications/mulatto_solitude_fr_1.pdf. . Plusieurs indices motivent ce parallèle. Tout d’abord, le geste d’écriture de Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem naît chez Maryse Condé d’une volonté de réhabilitation d’une figure historique oubliée, celle de Tituba, pourtant l’une des premières femmes à avoir été condamnées pour sorcellerie à Salem. C’est face à l’injustice de cet oubli historiographique que s’insurge Tituba de manière proleptique au cours de son récit, indignation à laquelle l’auteure prête sa voix : « Pourquoi allais-je être ainsi ignorée ? […] Est-ce parce que nul ne se soucie d’une négresse, de ses souffrances et tribulations ? Est-ce cela ? Je cherche mon histoire dans celle des Sorcières de Salem et ne la trouve pas » (Condé, 1988, p. 230). Si Condé arrache la figure de Tituba à l’oubli, en inscrivant son histoire, même fictionnalisée, dans le corps littéraire, pourquoi ne pourrait-elle en faire de même pour celle de Solitude ? L’auteure mettrait ainsi à l’honneur, de concert, deux femmes oubliées de la résistance.
D’un point de vue purement biographique, Tituba et Solitude ont plusieurs points communs : toutes deux sont le fruit du viol d’une esclave noire par un marin blanc sur le bateau qui la menait aux Antilles ; toutes deux sont mulâtresses ; toutes deux sont assujetties par l’esclavage, jusqu’à leur affranchissement et leur fuite dans un camp de Marrons vivant reclus dans les montagnes. Solitude deviendra l’une des meneuses de la révolte de 1802 contre le rétablissement de l’esclavage. Similairement, Tituba, poussée à un acte de résistance suprême contre l’autorité coloniale, fomentera une révolte des esclaves dans toute la Barbade. Cependant, c’est surtout dans la fin tragique de ces personnages, celle de la Tituba du roman et celle de la Solitude historique, que se cristallise le rapprochement des deux figures. Tituba sera pendue pour insubordination (et sorcellerie) avant même d’avoir mis au monde sa fille tant désirée ; Solitude, quant à elle, sera suppliciée par les mêmes bourreaux opposés à l’abolition, le lendemain de son accouchement. Pour le personnage du roman de Condé, la quête d’un monde meilleur n’est alors rendue possible que par la mort :
Car, vivante comme morte, visible comme invisible, je continue à panser, à guérir [dit-elle]. Mais surtout, je me suis assigné une autre tâche, aidée en cela par Iphigène, mon fils-amant, compagnon de mon éternité. Aguerrir le cœur des hommes. L’alimenter de rêves de liberté. De victoire. Pas une révolte que je n’aie fait naître. Pas une insurrection. Pas une désobéissance (Condé, 1988, p. 268).
Au prix du sacrifice ultime de son enveloppe charnelle, Tituba a finalement atteint son idéal de résistance. Comme la Mulâtresse Solitude, elle est devenue cet esprit mythique et légendaire qui habite le cœur des esclaves, des peuples asservis, des révolutionnaires en quête de liberté. Elles sont toutes deux des figures légendaires qui insufflent, par leur mort tragique, le désir d’une vie meilleure chez les peuples opprimés de la Barbade, de la Guadeloupe, des Antilles. Ces mères privées de maternité, à qui l’on a refusé d’enfanter ou d’élever leur progéniture, ont embrassé la mort comme prix de la liberté. Pour Tituba, il s’agit là d’un affranchissement ultime, puisque son corps, finalement libéré des lois inscrites avec violence dans sa chair, peut se métamorphoser pour habiter avec harmonie une nature luxuriante. Voici que depuis son statut d’Invisible, elle épouse les formes de la terre tant chérie de la Barbade, elle se « confond avec elle » (Condé, 1988, p. 271), elle s’ancre dans son sol pour l’affranchir à son tour du joug esclavagiste.
Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem est donc le théâtre d’une résistance à toute épreuve. Le personnage de Tituba, femme noire esclave, accusée de sorcellerie, dominée par trois figures de maîtres et maîtresse successives, battue, violée, emprisonnée pour s’être écartée des codes qu’on a tenté d’inscrire avec violence sur son corps, n’en démontre pas moins une forte capacité de résilience. Son parcours met en évidence l’agentivité du sujet féminin même aliéné, sa capacité à s’élever contre les différentes formes d’oppression qui tentent de soumettre son corps et son esprit aux lois des dominants. La démarche de Maryse Condé n’est pas moins révolutionnaire. Dans son geste d’écriture même, l’auteure est insubordonnée, insoumise et révoltée, parce que sa parole conteste l’ordre établi par le blantriarcat. Réhabiliter la figure historique de Tituba participe, chez elle, à une volonté de réécrire l’histoire pensée du point de vue des oppresseurs, ceux-là même qui s’acharnent à nier la subjectivité de sa protagoniste, à l’objectiver et à la détruire. Ainsi critique-t-elle « le racisme, conscient ou inconscient, des historiens » (Condé, 1988, p. 278) qui ont éclipsé de leurs récits sur Salem le personnage de Tituba, probablement pour les mêmes raisons que ceux qui passent sous silence le rôle historique de la Mûlatresse Solitude. Contre l’historiographie dominante qui dicte quoi écrire et surtout quoi retenir, Maryse Condé choisit alors de doter ce personnage d’une histoire, et de lui offrir une fin plus heureuse que celle que le sort lui a réservée. Plus encore, elle lui octroie le pouvoir de se redéfinir contre les normes qui l’ont assujettie, de récupérer son corps meurtri par les coups, de proclamer son identité et de mourir libre plutôt que de vivre enchaînée. Peu importe alors ce qui a trait au réel ou à la fiction, seul compte le geste qui arrache à l’oubli, qui fait survivre la disparue et lui donne existence au cœur de la prose. Ce geste qui révèle un corps et un esprit dissidents, non conformes et fiers de l’être, lesquels proclament leur féminité et leur légitimité à exister, non plus à survivre ; à parler, non plus à crier.