Éditorial du vol. 23 no. 1, « Futurs et projections »
Nous reconnaissons que nous publions ce numéro de revue sur le territoire autochtone non cédé de Tio’tia:ke [🗣 djodjâgué], lequel est colonialement désigné sous le nom de Montréal. Historiquement et encore aujourd’hui, ce territoire constitue un lieu de vie et de rencontres pour plusieurs peuples, dont la nation Kanien’kehá:ka. En tant que féministes, notre projet de libération est indissociable d’une approche intersectionnelle et décoloniale tenant compte des multiples formes d’oppression et de leurs intersections, de la manière dont elles affectent particulièrement les femmes* autochtones localement et à travers le monde (violences genrées, judiciarisation, pauvreté…), et des nombreuses formes de résistance et de résilience menées par ces dernières.
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À l’aube d’une nouvelle décennie et au crépuscule du premier quart de siècle de FéminÉtudes, en pleine crise climatique et – donnée nouvelle – sanitaire, le thème de ce numéro s’est presque imposé de lui-même. Coïncidant également avec les 30 ans de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF), ce moment charnière nous a semblé synonyme de transitions et de tensions entre ce qu’ont été, ce que sont et ce que deviendront les féminismes. Alors que le passé est remis en question et que le présent est plus incertain que jamais, dans quelle direction pouvons-nous nous tourner sinon vers l’avant? L’intitulé Luttes féministes : futurs et projections nous est apparu à l’automne 2019 dans la volonté de repenser l’à-venir de ce mouvement social. Les contributions reçues et choisies s’articulent en trois temps : une rétrospective des luttes antérieures, d’abord; un état des lieux des enjeux contemporains, ensuite; un regard vers l’« après », enfin.
Les féminismes sont forts de plusieurs siècles de militance… et de backlash. Malgré les coups, les détournements, les controverses et le fait que certains droits sont toujours à (re)défendre, nous sommes de celleux qui continuent de vouloir faire exister ces luttes sans nous contenter des batailles déjà gagnées. Nous refusons tout autant de nous limiter à une seule façon de penser ou d’agir, comme si c’était la seule pouvant être « digne » de cet héritage.
Les pratiques et les études féministes ne sont pas mortes, ne sont pas homogènes et, surtout, sont loin d’être exhaustives. Comme en témoigne ce numéro, une multitude d’approches restent à investir tant pour revisiter le passé que pour inventer le futur. Notons également que chaque personne adopte ou adapte son propre rapport aux féminismes. Il nous a paru nécessaire de réfléchir au mouvement sous diverses temporalités, d’interroger les angles morts et les opportunités, afin non pas de prescrire mais de pressentir et de proposer des pistes à explorer. Que peuvent, que pourront les féminismes de demain?
Au cœur de ce numéro figurent des questions liées à l’inclusion, à l’intersectionnalité, au dépassement des binarismes, à l’environnement naturel ou bâti, à la représentation sociale et à la solidarité. Une pluralité de sujets y sont abordés à travers une pluralité de formes et de perspectives, notamment le témoignage, la communication publique, les études critiques du handicap, l’histoire, les études urbaines, les sciences cognitives, l’art visuel, les études littéraires et l’écriture créative. Ces deux dernières caractérisent d’ailleurs la moitié des textes et œuvres ici rassemblées, signalant le pouvoir, les potentialités de la littérature qui permet d’imaginer à quoi pourrait ressembler un monde féministe. Il convient aussi de souligner que l’urgence des changements climatiques se fait sentir derrière plusieurs des contributions, et ce sans que nous l’ayons nous-mêmes incluse dans l’appel initial; l’actualité l’a fait pour nous.
Il n’en demeure pas moins que ce numéro n’est pas aussi inclusif que nous l’aurions voulu et que la diversité des thématiques ne se reflète pas dans celle des personnes publiées. Chaque « cuvée » de notre comité éditorial émet malheureusement le même constat… quand et comment agirons-nous pour renverser la tendance? Le problème de la transmission de l’expérience, ce partage des savoirs à conserver et des erreurs à ne pas répéter, ne concerne pas que les luttes féministes au sens large : il s’observe très concrètement dans nos propres pratiques. Nous espérons et nous nous engageons à faire notre possible pour que la 23e mouture de notre revue soit la dernière à receler un tel mea-culpa.
Dans cet aveu réside notre propre vision du futur des féminismes et ce vers quoi nous souhaiterions qu’ils s’orientent, c’est-à-dire vers une démocratisation des recherches féministes passant entre autres par leur décloisonnement du milieu universitaire. Nous voyons notamment les médias numériques comme un outil à investir pour atteindre un plus vaste public et nous débordons d’idées pour établir une présence multiplateforme, tout en reconnaissant la disparité des moyens technologiques chez différents groupes sociaux telle que mise en lumière de façon criante par la pandémie de COVID-19. Un important travail reste à accomplir en ce qui concerne la définition des obstacles à l’accessibilité et à la représentativité de FéminÉtudes sur le plan des sujets, du rapport à l’institution universitaire, de la disponibilité requise ou encore de l’identification au mot féministe.
En effet, cette étiquette peut faire peur lorsqu’on ne se reconnaît pas dans celleux qui la revendiquent. Ce numéro s’est construit avec l’objectif de favoriser une réappropriation des féminismes pour propulser leur continuation en sortant des clichés d’hier, par trop tenaces aujourd’hui. Nous croyons fermement que toute personne, quel que soit le terme par lequel elle se désigne, peut contribuer aux luttes. Nous avons cherché à analyser le champ des possibles laissé ouvert par les récents bouleversements et à voir les limites qui persistent à ce jour comme des pistes d’amélioration. Et vous, qu’attendez-vous des féminismes?
En terminant, nous tenons à remercier les contributeurices qui ont alimenté ce numéro de leurs réflexions et de leur créativité, et sans qui notre revue n’aurait ni présent ni futur. Toute notre gratitude va aussi à Alice van der Klei et à l’IREF pour le soutien et la visibilité dont bénéficie FéminÉtudes depuis tant d’années. Merci, bien sûr, à vous qui feuilletez ces pages, en espérant qu’elles sauront inspirer vos propres luttes féministes.
Rédaction de l’éditorial
Julie Levasseur
Avec la collaboration de
Émeline Merlet
Noémie Dubé
Paola Ouedraogo
Carolane Parenteau-Labarre
Comité éditorial
Maude Agin-Blais
Justine Bouvier
Alix Carmel
James Dickson
Noémie Dubé
Marion Gingras-Gagné
Alexia Giroux
Sophie Guinamand
Sara Laflamme
Pascale Laplante-Dubé
Julie Levasseur
Gabrielle Ménard
Émeline Merlet
Paola Ouedraogo
Carolane Parenteau-Labarre
Sabrina Rinfret-Viger
Andréa Roy-Binette
Myriam Saumur
Joëlle Soumis
Mallory Trocadero
Frédérique Trudeau
Design graphique de la version papier et des PDF des articles
Chloé Gastinel
Elen Kolev
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