Être mères incarcérées au provincial : stigmatisation et inégalité au sein du système carcéral québécois
Elles s’appellent Marie-Ève, Geneviève, Sonia, Sarah, Sophie, Annie, Elisapie. Elles sont mères monoparentales, mais ne peuvent pas être auprès de leurs enfants, car elles sont incarcérées dans une prison provinciale.
Les femmes incarcérées forment un groupe relativement peu visible, parce qu’elles sont une population carcérale moins nombreuse que les hommes. De plus, selon Joane Martel, elles font également partie « des populations les plus exclues de nos sociétés1 Renée Brassard et Joane Martel, « Trajectoires sociocarcérales des femmes autochtones au Québec : effets de l’incarcération sur l’exclusion sociale », Criminologie 42, no. 2, 2009, p. 124. ». Il en découle un ensemble de disparités liées au genre qui affectent les conditions d’incarcération, par exemple les établissements pour femmes sont moins nombreux et souvent davantage surpeuplés. De ce fait, les femmes sont souvent expatriées plus loin de leur domicile que les hommes2 Joane Martel, « Femmes et enfermement », Dictionnaire de criminologie en ligne, repéré le 20 août 2016 à http://www.criminologie.com/article/femmes-et-enfermement, 2010.. Ce faisant, comme les femmes incarcérées représentent une petite proportion des détenues, la variété de services offerts ou de travail disponible est moindre.
Cette situation est encore plus vérifiable dans les prisons provinciales, puisque les séjours sont moins longs et conséquemment, la durée de l’incarcération réduit la possibilité de bénéficier d’un service. De plus, très peu d’études et de rapports récents évaluent les conditions de vie des mères dans les prisons provinciales alors qu’il serait pourtant nécessaire d’obtenir plus de données afin de créer des profils sociodémographiques. Cela permettrait l’établissement de services d’aide et de programmes adaptés aux besoins spécifiques des femmes incarcérées (psychologique, santé, toxicomanie, famille). En effet, de manière générale, le système carcéral ne reconnaît pas assez les particularités des mères incarcérées3 Julie Fournier, L’expérience des mères justiciables : leurs perceptions de leur rôle de mère lors de l’incarcération et du retour en communauté, Mémoire de Maîtrise en Criminologie et en Études des femmes, Université d’Ottawa, 2000, 174 p.. Par exemple, 80% des femmes incarcérées auraient été victimes d’abus avant l’incarcération. Pourtant, aucun service psychologique n’est disponible pour les femmes au niveau provincial4 Alter-Justice, Le profil des femmes judiciarisées au Québec et au Canada, repéré le 26 octobre 2016 à http://www.alterjustice.org/u9/profil_femmes.html, 2012.. Marie-Andrée Bertrand est l’une des auteures qui soulignent le manque de statistiques correctionnelles précises portant sur le sexe, le genre et les identités culturelles. À notre connaissance, il n’existe pas de recensement au niveau des identités sexuelles. Cette absence de données affecte grandement la recherche et la mise en place des nouvelles politiques pénales5 Marie-Andrée Bertrand, « Progrès, recul et stagnation : tableau contrasté des conditions de vie des femmes incarcérées au Canada », Crimiologie 35, no. 2, 2002, p. 145..
Dans un autre ordre d’idées, l’image de la femme incarcérée ne correspond pas, dans l’imaginaire collectif, à la représentation du genre féminin, qui est synonyme la plupart du temps de douceur, de docilité et d’honnêteté. Lorsqu’il s’agit, de surcroît, d’une mère, les préjugés augmentent de façon considérable. En plus d’être reconnue coupable d’un crime, cette mère aurait failli à sa première responsabilité, qui est de rester auprès de son enfant et de veiller sur lui ou elle. Elle sera donc jugée sévèrement et blâmée6 Dominique Damant et Simon Lapierre (dir.), Regards critiques sur la maternité dans divers contextes sociaux, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 254.. L’opinion selon laquelle une mère aurait dû réfléchir avant de commettre un geste criminel, ce qu’on ne pensera pas nécessairement d’un homme incarcéré, est malheureusement présente tant parmi le personnel carcéral que dans la société en général. En effet, les discours traditionnels portant sur la maternité construisent une vision conservatrice du rôle des femmes en tant que mères. Ceux-ci s’inspirent essentiellement de l’expérience de certaines femmes des classes dominantes, imposant ainsi un ensemble de normes, soi-disant universelles auxquelles les femmes doivent se soumettre afin d’être considérées comme de « bonnes » mères7Ibid., p. 4.. Ces préjugés ont des conséquences encore plus importantes lorsque la maternité est brimée par l’enfermement. Effectivement, ils incitent une surveillance accrue de la part des institutions auprès des femmes de certains groupes sociaux, par exemple les femmes dépendantes à la drogue8Ibid., ou issues de certains groupes racialisés, comme les femmes autochtones. L’attitude des intervenant.e.s en milieu carcéral est imprégnée de ces préjugés et vient renforcer le sentiment de culpabilité et la mauvaise perception d’elles-mêmes que ressentent un grand nombre de mères incarcérées. Cette image négative peut aussi affecter fortement la relation avec leurs enfants et leur capacité à maintenir un lien d’attachement satisfaisant. De plus, il est important de mentionner que le système carcéral offre trop peu de moyens ou de programmes pour les soutenir dans leurs rôles parentaux. Aussi, la qualité du rapport que les mères peuvent entretenir avec leurs enfants pendant l’incarcération est dépendante du lieu d’enfermement. En effet, il existe de grandes disparités entre les prisons sous juridiction fédérale et les établissements provinciaux9 Brigitte Blanchard, « La situation des mères incarcérées et de leurs enfants au Québec », Criminologie 35, no. 2, 2002, p. 91..
Les femmes incarcérées dans un établissement provincial ont, semble-t-il, moins de chance de maintenir un lien continu avec leurs enfants que celles incarcérées au niveau fédéral. Par exemple, à l’établissement fédéral de Joliette, les mères peuvent cohabiter à temps plein avec leurs enfants jusqu’à ce que ceux-ci et celles-ci atteignent l’âge de 4 ans et cohabiter à temps partiel jusqu’à ce qu’ils et elles atteignent l’âge de 6 ans. Quant au niveau provincial, il n’est pas possible d’envisager ce genre de cohabitation en raison de l’architecture des lieux. De plus, la prison fédérale de Joliette comprend un parc pour les enfants et des avantages comme mentionnés ci-haut, tous inexistants pour les peines de deux ans moins un jour, soit celles purgées au provincial. Les mères incarcérées dans le système provincial ne méritent-elles pas de bénéficier des mêmes adaptations à leur situation de parent que celles offertes dans les établissements fédéraux ? À la lumière de ces faits, il est indéniable que cette situation est une injustice sociale inacceptable et qu’elle fait des enfants, les victimes collatérales. Ainsi, ces femmes sont souvent très isolées devant la multitude d’obstacles qu’elles rencontrent. Compte tenu du manque de service au niveau psychologique du système carcéral provincial et de sa difficulté à prendre en compte des particularités de la situation des femmes, notamment lorsqu’elles sont mères10 Julie Fournier, 2000, op. cit., il est nécessaire de continuer à s’interroger sur l’efficacité des lieux d’enfermements.
Auparavant, les peines provinciales étaient purgées à la Maison Tanguay, seule prison provinciale pour femmes, fermée le 1er mars 2016 par le gouvernement pour des raisons économiques. Toutes ces femmes ont ainsi été transférées à l’établissement Leclerc, anciennement prison fédérale pour hommes, vétuste et surpeuplée11 Jean-François Nadeau, « Les détenues paient le prix de l’austérité », Le Devoir, repéré le 10 février 2016 à http://www.ledevoir.com/societe/justice/463507/les-detenues-paient-le-prix-de-l-austerite, 2016. : ces changements provoquent une vive inquiétude et génèrent beaucoup de stress pour les détenues. De plus, selon la criminologue Sylvie Frigon, il a déjà été démontré que la mixité n’est pas favorable pour les femmes dans le contexte carcéral12Ibid.. Les conditions de vie des femmes se sont dégradées : sécurité accrue injustifiée, parloirs souvent annulés à la dernière minute faute de personnel, augmentation du nombre de femmes par secteur, difficulté pour les femmes de circuler dans l’établissement à cause de la mixité, agents moins informés sur les problématiques féminines. Ces conditions difficiles, que les femmes doivent affronter, démontrent l’urgence de mettre en place de nouvelles dispositions afin de les soutenir. En effet, il n’existe, à l’heure actuelle, trop peu de programmes destinés aux femmes mères dans les prisons au palier provincial, alors qu’elles représentaient, en 2002, une population majoritaire de 73 % et que 50 % d’entre elles étaient cheffes de famille monoparentale13 Brigitte Blanchard, La situation des mères incarcérées et de leurs enfants au Québec, Mémoire de Maitrise en Criminologie, Université de Montréal, 2002, 207 p.. Toutefois, si le manque de ressources entrave fortement la relation de la mère avec son enfant, on peut souligner la continuité de certains programmes et le lien qu’ils permettent de maintenir. Anciennement, à la Maison Tanguay, l’organisme Continuité Famille auprès des Détenues (CFAD) offrait un programme Mère-Enfant depuis 30 ans, et il continue à être proposé à l’établissement Leclerc. Il s’agit cependant d’un des rares programmes destinés aux femmes incarcérées, établi afin de maintenir les liens avec leurs enfants.
Ce programme consiste en trois volets spécifiques14 Continuité Famille Auprès des Détenues (CFAD), Programme Mères-Enfant, repéré le 26 février 2016 à http://www.cfad.ca/#section2, s.d. : des séjours de 24h pour les enfants de 0 à 14 ans, la célébration de fêtes communautaires et la supervision des visites au parloir. Les séjours de 24 heures permettent aux femmes détenues à l’établissement de retrouver pendant 24 heures consécutives leurs enfants dans les unités familiales, supervisées par une intervenante. Elles peuvent avoir lieu toutes les 4 à 6 semaines environ, en fonction du nombre de femmes inscrites au programme. Cette absence de contact est une période qui semble très longue compte tenu du lien fragilisé. De plus, sept fois par an, lors de fêtes ou d’événements importants pour les enfants (Noël, la fête des Mères ou la rentrée scolaire), l’organisme CFAD met en place une célébration à l’établissement Leclerc. Les mères et leurs enfants âgé.e.s entre 0 et 14 ans sont alors convié.e.s à une rencontre de 3 heures, où un buffet ainsi que des activités libres leur sont proposés.
Lorsque les mères sont dans l’impossibilité de retrouver leurs enfants pour des séjours de 24 heures ou lors des fêtes communautaires, l’organisme CFAD peut superviser des visites au parloir afin de permettre une rencontre entre la mère et l’enfant. Toutefois, cela reste exceptionnel. L’autre moyen d’avoir un contact avec leurs enfants est l’utilisation du téléphone, mais encore une fois, certaines difficultés sont rencontrées. Les mères incarcérées voulant utiliser le téléphone public qui se trouve dans leur secteur doivent acheter une carte d’appel. Il est à noter que les longues distances sont à un prix élevé et qu’un appel de courte durée peut facilement coûter de quinze à vingt dollars. Si la femme incarcérée ne travaille pas (souvent peu de postes de travail sont disponibles) et qu’aucun proche ou membre de la famille ne lui verse d’argent dans son compte pour la cantine15 Magasin général à l’intérieur de l’établissement où les prix sont beaucoup plus élevés qu’à l’extérieur., elle ne pourra pas acheter de carte d’appel et ne parlera donc pas à ses enfants. Toutefois, même lorsque la femme obtient un appel, il se fera depuis son secteur, parmi ses codétenues et donc sans aucune possibilité d’intimité.
En plus d’un système carcéral provincial plus punitif que « réinsertif », il semble que la formation des agent.e.s correctionnel.le.s ne soit pas suffisante pour venir en aide aux femmes incarcérées. En effet une personne voulant travailler comme agent.e correctionnel.le pourrait y accéder avec des études postsecondaires en sciences humaines. La formation est d’une durée de 9 semaines, dont 8 semaines qui sont consacrées à une formation théorique et pratique à l’École nationale de police du Québec, et 5 jours à un stage d’apprentissage en milieu de travail de la fonction d’agent des services correctionnels. Parmi les 11 éléments de la formation, mentionnés sur le site internet de l’école, un seul élément s’intéresse au bien-être mental et aux comportements humains. Les dix autres semblent plus en lien avec la sécurité, l’emploi de la force ou encore de l’aspect légal du travail. En outre, rien ne fait mention de la situation spécifique des femmes incarcérées16 Alter Justice, Profession : agent des services correctionnels, repéré le 10 février 2016 à http://www.alterjustice.org/u9/agents_services_correctionnels.html, 2012; École nationale de police, s.t., repéré le 20 août 2016 à http://www.enpq.qc.ca/clientele-securite-publique/services-correctionnels/le-programme.html, s.d..
Si le maintien du lien mère-enfant dans un contexte carcéral est bénéfique pour les enfants, il l’est aussi pour les mères et par conséquent pour l’ensemble de la société. En effet, il n’est pas rare de voir apparaître chez de nombreux enfants, qui ont une mère incarcérée, des troubles de comportement comme des tendances antisociales, de l’agressivité ou une démotivation scolaire. Considérant qu’entre la moitié et les trois quarts des femmes incarcérées sont des mères, il est donc primordial de mettre en place des moyens pour que les femmes aient accès à un système qui favorise un lien de qualité avec leurs enfants. Ceux-ci élimineraient en partie l’incertitude et la confusion que peut apporter une telle séparation, et éviteraient par conséquent une détresse psychologique et physique17 Linda Macleod, Condamnés à la séparation : une étude des besoins et des problèmes des délinquantes et de leurs enfants, Ottawa, Division de la recherche, Direction des programmes, Ministère du Solliciteur général du Canada, 1986, pp. 24-27., autant chez les enfants que chez les mères. De plus, avoir des contacts réguliers avec leurs enfants permettrait aux mères d’être moins inquiètes pour leur bien-être et de vivre moins difficilement la période d’incarcération. On évite ainsi chez les mères le sentiment de frustration et l’impression d’abandon envers leurs enfants, qui peuvent mener à des dépressions et à des suicides. En plus d’aider les mères dans leur réhabilitation, cette proximité évite chez leurs enfants une expérience traumatisante, de même que de nombreux effets négatifs sur l’attachement, le comportement en général, la performance scolaire et les relations interpersonnelles18 Martine Barette et al., « L’expérience des familles aux prises avec l’incarcération d’un parent », Séparation, monoparentalité et recomposition familiale, Bilan d’une réalité complexe et pistes d’action, Les Presses de l’Université Laval, 2004, pp. 234-239.. Toutefois, il faut préciser que les prisons telles qu’elles sont aujourd’hui construites et administrées restent des lieux qui peuvent être perturbants pour des enfants. Les opinions des experts sont duelles quant à la place qu’ils doivent y occuper, que ce soit dans le cas de courtes visites ou de séjours prolongés19 Marie-Josée Lacombe, « Les parents incarcérés: visites et cohabitation », Alter Justice, Groupe d’aide et d’information aux personnes judiciarisées, repéré le 10 février 2016 à http://www.alterjustice.org/dossiers/articles/110601_relations_famil_visites.html, 2011.. Il serait alors important de remettre en question l’aménagement des prisons provinciales, en s’inspirant des prisons pour femmes au fédéral, qui permettent une transition éventuelle vers des modèles de prison ouverte :
L’institution ouverte est caractérisée par l’absence de clôture ou l’existence d’une clôture facilement franchissable du genre de celles qui séparent les propriétés privées et dont le but est de limiter les rapports avec le monde extérieur. L’établissement ouvert est donc celui dont la sécurité n’est pas assurée par des moyens physiques20Commission internationale pénale et pénitentiaire, Douzième Congrès pénal et pénitentiaire international, 14-19 août 1950, Rapports généraux et nationaux de la section II, vol. IV, La Haye, 1951, pp. 1-2..
Plusieurs projets de centres ouverts ont déjà été menés, comme le centre résidentiel communautaire Neil J. Houston House qui accueille dans une maison hors de la prison, semblable à une maison de transition21 Maison se situant dans la collectivité qui sert, pour des personnes judiciarisées, à réintégrer la société., des femmes toxicomanes condamnées et leurs nouveau.elles-nés22 Marie-Andrée Bertrand, Prisons pour femmes, Montréal, Les Éditions du Méridien, 1998, pp. 108-115..
Malheureusement, depuis les premiers rapports des années 1990-2000, comme La création de choix : rapport du groupe d’études sur les femmes purgeant une peine fédérale23 Service correctionnel du Canada, La création de choix : rapport du groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services, 1990., La commission d’enquête sur certains évènements survenus à la prison des femmes de Kingston24 Louise Arbour, Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1996. et l’étude pionnière de Brigitte Blanchard intitulée : La situation des mères incarcérées et de leurs enfants au Québec25 Brigitte Blanchard, 2002,op. cit., la situation des mères incarcérées au provincial ne s’est pas améliorée. Il nous semble que le système carcéral provincial devrait prendre en compte tous les aspects propres aux femmes ; le fait, par exemple, que les femmes incarcérées sont plus susceptibles à vivre de la violence et à avoir des problèmes de santé physique et mentale que les hommes26 Lise Giroux et Sylvie Frigon, Profil correctionnel 2007-2008: Les femmes confiées aux Services correctionnels, Ministère de la Sécurité publique, 2011, p. 21..
Le rôle de mère, pour certaines femmes, est une grande partie de leur vie : comment pourraient-elles se reconstruire positivement sans y intégrer leurs enfants? À la lumière de ces faits, nous estimons que plusieurs recommandations sont nécessaires. Tout d’abord, les mères incarcérées devraient être en mesure de pouvoir parler à leurs enfants gratuitement. Ainsi, celles qui n’ont pas les moyens financiers de le faire ne seraient pas pénalisées et cela ne priverait pas, en même temps, leurs enfants.
Ensuite, nous croyons que des services visant à restaurer, entretenir ou améliorer le lien mère-enfant seraient nécessaires pour les femmes qui le désirent. Il serait également essentiel que les mères incarcérées puissent profiter de groupes de prévention, de sensibilisation et d’entraide. La mise en place d’un service de médiation familiale et de soutien avant et après les visites pour la mère et pour les enfants serait profitable aux familles. De plus, un service offrant des conseils légaux pourrait être mis en place afin de répondre aux questions des femmes sur leurs droits en matière de visites, de garde légale, et sur leurs interrogations à propos des services sociaux et de la DPJ. Établir des programmes réellement adaptés en fonction des profils précis des mères judiciarisées permettrait également d’améliorer les conditions de vie de ces femmes, de leurs enfants et de leurs familles.
Il pourrait être utile de définir et de développer certains principes à intégrer dans les philosophies d’interventions. Nous pensons par exemple à l’enjeu de la compréhension des processus de stigmatisation et de marginalisation des mères incarcérées ainsi que l’enjeu de la reconnaissance de la complexité de la maternité. Celle-ci prend des formes variées selon les valeurs et les croyances des femmes : il faut tenir compte de cette diversité, en plus de la comprendre afin d’établir des relations de confiance mutuelle entre les intervenant.e.s et les femmes27 Dominique Damant et Simon Lapierre, 2012, op. cit., pp. 252-255; Karlene Faith, « La résistance à la pénalité: un impératif féministe », Criminologie 35, no. 2, 2002, p. 117.. Il serait aussi important, voire nécessaire, que les agent.e.s soient éduqué.e.s sur les réalités sociales et économiques des femmes et des mères incarcérées par des programmes de formation adéquats.
Aussi, nous constatons l’ampleur des besoins criants quant aux services adaptés pour les mères incarcérées et leurs enfants, surtout dans les prisons provinciales. La relocalisation des femmes de la prison Tanguay à celle de Leclerc à Laval, où il n’y avait autrefois que des hommes, a fait reculer brusquement la situation des femmes incarcérées au niveau provincial. La maison Tanguay avait été construite spécialement pour les femmes; devenu une prison mixte, l’établissement Leclerc ne répond pas mieux aux besoins de ces femmes et de leur famille. Il est donc impératif d’aider les mères incarcérées et leurs enfants en trouvant des solutions mieux adaptées qui permettraient de maintenir le plus possible les conditions relationnelles, et ce, malgré la réalité difficile que représente l’incarcération. Cela pourra contribuer à atténuer les traumatismes de part et d’autre, tout en facilitant la réintégration de la mère dans la société.
Enfin, il nous semble primordial d’amener la société québécoise à choisir collectivement d’investir dans la prévention de carences affectives qui affligent finalement toute une société sur des générations entières. Pour cela, il faudrait mettre en place un véritable travail de sensibilisation et d’information, qui permettrait à la société, comme au milieu carcéral, de se départir de ses préjugés concernant les femmes et les mères incarcérées.