Pour un futur plus inclusif
Futur du féminisme : la libération de la parole et la quête perpétuelle d’une nouvelle narration du monde
Le féminisme naît de la collectivisation. Le mouvement #moiaussi s’inscrit dans cette tradition, et fut, comme nous pouvons le constater, déclencheur d’une véritable déferlante. Un barrage a cédé et la parole des femmes s’est libérée, dans un flot continu qui raconte une autre histoire : celle du refus de tolérer un instant de plus les violences qu’elles subissent. L’expérience de mise en commun de nos histoires d’agressions par des corps intrusifs ou des commentaires déplacés est puissante et porteuse d’un pouvoir de transformation radicale. Elle fait passer d’un état de souffrance ou de malaise, où l’on se trouve écrasées par le poids de la honte ou de la culpabilité, à un état de colère ou de lucidité, où l’on voit clairement apparaître le caractère injuste d’une situation. Alors il devient possible de guérir et d’agir pour renverser et transformer la situation.
La parole partagée crée des liens entre nous, ouvre un espace dans le monde et en soi. Un espace politique, créateur, porteur d’une grande force. Comme le disait Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe, « on ne naît pas femme, on le devient1 Simone de Beauvoir. 1986 [1949]. Le deuxième sexe II, Paris : Gallimard, p. 13. ». Ce qui m’a révélée à ma propre condition de femme, ce qui m’a conduit à ma démarche féministe, ce sont les questionnements, l’intuition d’une injustice, les malaises face à des évènements vécus, les livres et un désir de liberté. « Devenir femme » s’est transformé en besoin vital. Voir le monde « en tant que femme » est devenu le seul regard possible. Un regard lucide et nécessaire pour s’affranchir des dominations. « Devenir femme », c’est se choisir dans notre propre conscience et prendre la responsabilité de vivre libre, de définir ce que cela veut dire et de le faire advenir. C’est la reconnaissance de son pouvoir, le courage de déterminer sa destination et l’expression consciente d’un je, d’un nous.
Le féminisme est pour moi un véritable voyage, une plongée dans les profondeurs de la réalité qui, si elle ne laisse pas intacte, force une prise de position nécessaire, un engagement. Dans les cinq dernières années, j’ai eu la chance de rencontrer des femmes uniques, de tous les âges et horizons, de toutes les conditions. Je pense entre autres aux femmes engagées à l’échelle mondiale, rencontrées lors des actions de la caravane québécoise des résistances et solidarités féministes de la Marche Mondiale des Femmes 2015. Ce mouvement mondial, originaire du Québec, et qui s’active en 2020 pour une 5ième action, m’a amené à vivre des expériences marquantes et des moments de grande solidarité, de danse libératrice. À Montréal, j’ai aussi eu la chance de rencontrer des femmes engagées pour leur communauté locale, mobilisées par l’urgence d’améliorer les conditions de vie dans une perspective globale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Partout et de tous les temps, les femmes s’activent pour vivre libres et faire reconnaitre leurs droits. Les siècles derniers ont vu une accélération de l’émancipation des femmes, à travers différentes vagues du féminisme. Si l’héritage des luttes passées est gigantesque, que l’on pense au droit de vote, à l’accès des femmes à l’éducation et aux sphères de pouvoir, le chemin est loin d’être terminé et les acquis demeurent fragiles. Le recul du droit à l’avortement et le simple fait qu’il soit à l’ordre du jour politique en est un exemple, aussi révoltant soit-il. Entre les pas en avant et les pas de recul, la transmission et la mémoire des luttes féministes passées sont déterminantes. Elles sont nos alliées : les raconter et les connaître nous permet d’élargir notre point de vue, de nous inspirer d’elles et de tirer de sages apprentissages de leurs expériences.
Comme nos prédécesseures l’avaient compris, nous vivons dans un monde inachevé qui appelle notre geste. Le futur du féminisme est ce que nous aurons besoin qu’il soit. Si le personnel est politique, nos espoirs le sont tout autant et il n’appartient qu’à nous d’amener l’Histoire vers un chapitre qui raconte et fait advenir une autre vision du monde, d’autres manières d’être. Portons la liberté, la diversité et le progrès social avec détermination et soyons solidaires avec les femmes qui, ici et de par le monde, mènent des luttes contre des idéologies qui restreignent leur horizon. Ensemble, ouvrons les possibles! Enrichissons les mouvements féministes, multiples et pluriels comme chaque femme qui les compose. Ces mouvements ont les ailes géantes, grandes ouvertes sur quelque chose d’autre, sur une œuvre gigantesque. Ils ont un projet à déployer dans toute son intensité, et nous, nous avons des chemins à créer dans nos espaces intimes et dans ceux de nos solidarités.
Bibliographie
Simone de Beauvoir. 1986 [1949]. Le deuxième sexe II, Paris : Gallimard, p. 13.