Hors de moi
Je suis hors de moi.
Je n’ai pas envie de parler de toi, encore. Le corps. Tu n’es rien, pour moi, qu’un outil, qu’un vaisseau pour mon âme. Je porte une haine profonde pour toi qui prends toute la place, qui ne laisse personne indifférent. Comment peux-tu voler le sujet de cette revue?
On parle toujours de toi au féminin. Tu es trop gros, trop mince, trop grand, difforme, parfait, doux, utilisé, abusé, ridiculisé, acclamé, regardé, jugé, objectivé, admiré, sexualisé, envié. J’ai tellement envie de me foutre de toi. J’ai tellement envie que tu ne me fasses ni chaud ni froid. Être propre et en santé, n’est-ce pas assez te demander? Faut-il aussi que tu te portes garant de l’impression que je fais aux autres? N’est-ce pas assez de me faire vivre et bouger, faut-il aussi que tu prennes le contrôle de ma vie sociale, amoureuse et professionnelle?
Le rapport au corps m’épuise. Je suis épuisée d’avoir à apprendre à t’aimer. Il faut toujours que j’accepte tes différences et tes faiblesses, que je prenne position par rapport aux normes actuelles. Tu rends mon estime de moi tellement extrinsèque. Partout je dois accueillir le feedback du monde extérieur, même si au final, si je ne t’aime pas, on dira que c’est ma faute. Mon rapport à toi m’étouffe. Puis-je être femme sans être corps, féministe sans parler de toi, mère sans grossesse, moi sans être toi? Je veux me battre pour plus grand que toi, je veux faire ma place en tant que femme dans la société.
Le corps, je suis hors de toi.