La non-binarité à l’écrit
Dans le Dictionnaire critique du sexisme linguistique dirigé par Suzanne Zaccour et Michaël Lessard, il est mentionné, en introduction, que
aujourd’hui plus que jamais, les femmes rejettent ces injustices. Nous exprimons avec force et conviction nos idées, nos valeurs, notre féminisme. Dans Internet, dans la littérature, dans les médias, dans la rue, nous prenons parole. Nous restons cependant contraintes par une langue dont on a voulu nous déposséder. Une langue qui blesse par des expressions sexistes, racistes, lesbophobes, transphobes, grossophobes, capacitistes et spécistes trop souvent banalisées (p. 11).
Le sexisme linguistique se loge partout, comme le montre l’ouvrage de Zaccour et de Lessard. La question de la féminisation reste donc importante et elle doit continuer à être un débat au sein de notre société, afin d’éliminer le sexisme linguistique. Notamment, la féminisation rend visible ce que les femmes ont accompli, tout en le revalorisant. Qui plus est, le féminin inclusif – féminin inclusif de tous les genres – veut réintroduire la place des femmes dans la langue. L’inclusivité est un moyen de souligner la présence du féminin en français. Cette place fut longtemps invisibilisée en raison de la loi qui indique que « le masculin l’emporte » (Viennot, 2014).
Par contre, il faut remarquer qu’elle peut servir à perpétuer la binarité, en classant dans une catégorie le féminin et dans une autre, le masculin. C’est pourquoi il est important de se questionner sur les alternatives épicènes possibles qui peuvent déconstruire cette problématique langagière.
De plus en plus, l’écriture inclusive cherche à élargir la réflexion et à éliminer toutes formes de discriminations entre les genres en choisissant de les représenter tous. C’est pourquoi, parfois, la naissance de néologismes est nécessaire pour pallier au manque dans la langue (Banque de dépannage linguistique, Épicène, neutre, non-binaire et inclusif). En comparaison, l’écriture neutre cherche plutôt à effacer les différents genres. L’écriture inclusive, en évitant toutes catégorisations des genres, sert à être non sexiste. Finalement, la langue est en constante évolution. Elle est sujette à plusieurs changements. Il est donc possible que d’autres alternatives apparaissent avec le temps. Il est alors important de retenir que l’écriture inclusive n’est pas figée, mais plutôt multiple et mouvante.
Comment spécifier que l’on va écrire avec une écriture inclusive dans un texte ?
Il est possible d’écrire un texte universitaire avec une écriture inclusive. Deux conditions doivent toutefois être appliquées : il faut annoncer notre intention dès le début du texte (en note de bas de page) et il faut rester constant·e dans la méthode utilisée tout au long du texte.
On peut le spécifier en note de bas de page. Il est nécessaire d’annoncer dès la première féminisation ou dès le premier terme inclusif, en note de bas de pages, l’intention de féminisation ou d’inclusion du texte et la méthode qui sera utilisée. Par exemple :
« Sartre avance l’hypothèse que les écrivain·e·s1, malgré un désir d’universalité et d’immortalité, s’adressent toujours à un public précis qui leur est contemporain ».
En note de bas de page : 1 Ce texte sera féminisé avec la méthode du point médian, afin de donner une visibilité au féminin.
En note de bas de page : 1 Ce texte utilisera un langage épicène, afin de donner une visibilité à toutes les identités de genre.
Vous n’avez ensuite qu’à modifier l’énoncé en note de bas de page qui conviendra à la méthode que vous utilisez. Pour un texte plus long, il est à noter que certains livres font aussi ce que l’on appelle une « note d’intention » au début de l’œuvre, afin d’expliquer la démarche de féminisation qui sera utilisée dans le texte.
La méthode du point médian
Cette méthode consiste à mettre un point médian pour réunir dans le même mot le masculin et le féminin de ce mot, par exemple : étudiant·es ou étudiant·e·s. Le point médian est à favoriser, parce qu’il n’a pas de signification particulière en linguistique, contrairement au tiret (étudiant-e-s), au point (étudiant.e.s) ou à la majuscule (étudiantEs). Par contre, les autres méthodes d’extention mentionnées ici peuvent également être utilisées, tant que la même méthode est uniformément appliquée dans le texte. Par ailleurs, les parenthèses ainsi que les barres obliques ne sont pas favorisées, car elles semblent imposer une hiérarchie genrée dans laquelle le masculin est valorisé par rapport aux autres genres. Aussi, leur présence dans le texte peut rendre la lecture moins fluide et plus difficile. Pour facilement faire le point médian sur un clavier :
Sur un PC : il suffit de maintenir la touche ALT, tout en appuyant sur les touches 0, 1, 8, 3 sur les touches numériques du clavier, l’une après l’autre.
Sur un MAC : il suffit de maintenir les touches ALT, SHIFT et H en même temps.
Exemples au singulier | Exemples au pluriel |
un·e, le·a | |
auteur·rice, lecteur·rice | auteur·rice·s ou auteur·rices |
professeur·e, auteur·e | professeur·e·s ou professeur·es |
gentil·le, violet·te | etc. |
doux·ce, roux·sse | |
merveilleux·se, mystérieux·se |
Terminaisons inclusives possibles
L’écriture inclusive et neutre n’est pas toujours facile, surtout à l’oral. Il est alors possible de combiner les terminaisons (fém+masc) ou encore d’en créer des nouvelles afin de les rendre inclusives et cela permet aussi de faciliter la pratique à l’oral. Vous pouvez aussi doubler les terminaisons, comme vous le feriez à l’aide du point médian, mais sans le point médian (maîtretresse, contentente, premierère).
Ce sont des méthodes qui sont fluctuantes, valorisées ou non dans certains contextes. Il s’agit tout d’abord d’une réappropriation de la langue par et pour des personnes ne se reconnaissant pas dans la binarité masculin/féminin proposée par cette langue. Or, les pronoms et accords choisis sont personnels à chaque personne et ne sont pas garants de leur identité (Ashley, 2019). Il s’agit ici de propositions, pour donner d’autres options que celles de la binarité de la langue française.
Une autre possibilité de l’écriture neutre et inclusive, propose de simplement mettre un « x » à la place où, traditionnellement, vous auriez inscrit une terminaison genrée (fatiguéx).
Terminaison | Terminaison inclusive | Exemple |
-eur, -rice | eurice, eurices | Auteurice, spectateurice |
-eau, -elle | elleau, elleaux | nouvelleaux, belleau |
-eur, -euse/-eux, -euses | eureuse, eureuses, euxe, euxes | heureureuse |
-s, se | sse, xe | surprisse, surprixe |
-oux, -ouse | ousse, x | jalouxe, jalousse |
-x, -se | xe | juteuxe, juteusse |
-tre, -tresse | xe | maîtrexe |
-ien, -ienne | ienxe | musicienxe |
-nt, -nte/-nd, -nde | nx | contentx |
-t, -te | x, xe | matelox, mateloxe |
-on, -onne | onx | mignonx |
-ier, -ière | ierères, iér | premierère, premiér |
Certaines exceptions empêche toutefois l’utilisation des terminaisons inclusives puisque ces mots ressemblent trop à d’autres mots et peuvent rendre davantage confus votre texte. Vous pouvez alors tenter d’utiliser d’autres mots ou utiliser le point médian par exemple.
Pour ce qui est des M., Mme., vous pouvez tout simplement les oublier ! Ces formulations se basent sur des présupposés sexués et binaires des corps. Écrivez plutôt les prénoms et/ou les noms des personnes, c’est tout aussi poli.
Déterminants et pronoms inclusifs possibles
Le français au Québec est encore à ce jour grammaticalement très binaire. Pourtant, comme le rappellent Suzanne Zaccour et Michel Lessard à la page 34 de leur Grammaire non sexiste de la langue française :
Le français n’est pas une langue fixe, dont les dogmes seraient éternels. Il s’enrichit par son évolution perpétuelle, sans que les personnes ne cessent de se comprendre ou de communiquer efficacement pour autant
Ainsi, la liste présentée ici n’est pas fixe ou complète, elle cherche à ouvrir les possibles. À notre avis, toutes les formes grammaticales devraient permettent l’inclusion du féminin, mais également des personnes non-binaires, queer, agenres, en questionnement sur leur identité de genre ou autres. Par exemple, une formulation comme « un ou une collègue » reste très binaire et non-inclusive. Ainsi, employer d’autres stratégies d’écriture peut permettre de représenter plus justement la réalité de certaines personnes auparavant exclues.
Une chose qui est aussi importante à faire est de respecter les pronoms préférés des gens. N’ayez pas peur de communiquer avec la personne pour savoir lesquels ielle utilise.
Déterminants possibles | Pronoms possibles |
Singulier : LEA, LIA et UN·E Pluriel : LEAS | Pour les pronoms personnels : Il/elle/lui = IEL — IELLE — ILLE – ELLUI Elles/eux = IELLES — ILLES (mais qui ressemble beaucoup au masculin exclusif « ils » lorsque prononcé oralement) — ELLEUX |
Pour les possessifs nous pouvons aussi employer des formes comme : MAON, TAON, SAON. Et pour le quantitatif on peut utiliser TOUSTES. | En ce qui concerne les pronoms démonstratifs il existe CELLEUX — CIEL — CIELLE — CELLUI (mais qui peut vite se confondre avec le pronom exclusif masculin « celui » lors de la lecture) — CIELS — CIELLES — CEUXES — CEUZES — CEULLES. il existe CELLEUX — CIEL — CIELLE — CELLUI (mais qui peut vite se confondre avec le pronom exclusif masculin « celui » lors de la lecture) — CIELS — CIELLES — CEUXES — CEUZES — CEULLES. |
En ce qui concerne les autres déterminants, l’utilisation du point médian suffit : QUEL·LE, CET·TE, AUCUN·ES, TEL·LE, AUXQUEL·LES, etc. |
Règle d’accord de proximité
L’accord de proximité n’est pas nouveau ! La règle grammaticale selon laquelle « Le masculin l’emporte sur le féminin » s’est imposée au XVIIème siècle (Banque de dépannage linguistique, L’accord de l’adjectif se rapportant à un doublet). Avant, la langue française offrait une plus grande liberté aux niveaux des accords de genre. En effet, en présence de sujets de genres distincts, l’accord de proximité prévalait. Ainsi, l’adjectif ou le participe passé s’accordait avec le nom ou le sujet le plus proche. Ici, nous proposons de redonner sa place à cette règle de grammaire pour refuser une certaine hiérarchie des genres. Voici comment ça fonctionne :
On accorde l’adjectif avec le genre du nom le plus près | On accorde le participe passé avec le genre du sujet le plus près |
L’étudiant et l’étudiante impliquées dans ce projet viennent de Montréal. | Le secrétaire et la directrice sont arrivées en retard à la réunion. |
Pour demain, nous avons besoin d’une chemise et d’un pantalon violets. | Le nouveau délégué ou la nouvelle déléguée sera élue demain soir. |
Bibliographie
BANQUE DE DÉPANNAGE LINGUISTIQUE, Épicène, neutre, non binaire et inclusif, [En
ligne], 2018, http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=5421.
VIENNOT, Eliane. Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, Donnemarie-Dontilly (France), Éditions iXe, 2014, 118 p.
ZACCOUR, Suzanne et Michaël LESSARD. Dictionnaire critique du sexisme linguistique, Montréal, Éditions Somme toute, 2017, 264 p.
Les tableaux ont entre autres été inspirés des sources suivantes :
Guide de l’organisme Divergenres : https://divergenres.org/regles-de-grammaire-neutre-et-inclusive/
ASHLEY, Florence. 2019. « Les personnes non-binaires en français: une perspective concernée et militante » dans H-France Salon, 11(14), récupéré de https://h-france.net/Salon/SalonVol11no14.5.Ashley.pdf?fbclid=IwAR2z2c7MTtDT-5F3ATq-dFaK9J_BPis5jRBsluRokDbPsrtBFmqLMlJFnSg.
ZACCOUR, Suzanne et Michaël LESSARD. Dictionnaire critique du sexisme linguistique, Montréal, Éditions Somme toute, 2017, 264 p.
BANQUE DE DÉPANNAGE LINGUISTIQUE, L’accord de l’adjectif se rapportant à un doublet, [En
ligne] http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=3997#:~:text=C’est%20ce%20qu’on%20appelle%20la%20r%C3%A8gle%20de%20proximit%C3%A9.&text=En%20fran%C3%A7ais%20ancien%2C%20l’accord,place%2C%20s’est%20impos%C3%A9.