Les traits du culot face à l’attrait des absences
Texte : Annabelle Ponsin
Illustration : Pauline Stive
C’est à bras les corps que Pénélope Bagieu retrace des parcours de femmes inspirantes;
Et inspirées de ne pas incarner ce que l’on attendait d’elles.
Pour retourner ce miroir qu’elle nous tend, Portraitisons l’artiste.
Donnons-lui corps.
Culott.ées
Adjectif féminin, féministe; le plus souvent.
Familier; mais pas forcément familial.
S’accordant en genre, hors des ombres, et au pluriel; quand tout va bien.
Se dit de femmes qui osent être.
Syn.
Porter le culot de sa vie.
Culott.ée
Sans prétention, cette artiste engagée
Réveille les soupçons, éveille des espoirs
Culott.é ?
On aimerait que ça ne le soit plus.
On aimerait que ça n’étonne plus personne que les femmes soient capables de se dessiner des destins.
On aimerait que ça soit courant, de les citer, pour remonter la généalogie humaine.
À corps perdus, chercher.
La revue Science le dit, elle aussi,
Toutes petites déjà, les enfantes s’oublient.
« À l’école, j’étais très patiente. J’écoutais toutes les leçons d’histoire : comment des messieurs avaient découvert l’Amérique, comment des messieurs avaient construit la Chine. On m’a aussi enseigné l’histoire de la Russie où j’apprenais que des messieurs avaient opté pour un plan quinquennal à un certain moment. J’apprenais toutes sortes de choses avec des noms de messieurs. Je connaissais les fables de Monsieur de la Fontaine, j’aimais aussi Monsieur de la Palice. À la maison, on avait le livre de Monsieur untel et, plus tard, j’ai étudié plusieurs autres messieurs. Je peux dire qu’en général, à l’école, on sautait d’un monsieur à l’autre. »
Sylvie Laliberté, Je ne tiens qu’à un fil mais c’est un très bon fil, p. 36.
Sylvie Laliberté met la table,
Celle du débat, seulement.
Où sont les femmes, au juste ? Je veux dire dans les mots, dans les phrases, dans les livres ?
Et ailleurs ?
Où sont ces voix?
Je n’entends pas.
Il faut en être une, au moins, pour comprendre, souvent bien tard, que l’on fait partie des Absentes.
Ça a dû me prendre 18 ans pour saisir pourquoi, et comment, elles s’étaient enfuies de mes Cahiers.
Et 23, peut-être, pour cerner, que si on ne les nomme pas, elles ne feront que passer,
Désincarnées.
Sans se placer.
Alors j’ai commencé à les chercher, elles.
À les accorder en tout temps.
Mes mots ont changé de couleur, de sororité; d’élan.
Pour que le féminin s’exporte.
Reprendre chair, le décider.
Ce trouble initial, Pénélope Bagieu, le transforme en une aventure frénétique :
Chaque semaine, durant deux ans, quatre couleurs à la main, elle dresse de nouveaux portraits, brefs et captivants, de femmes surprenantes.
En voyageant auprès de 30 illustres femmes, cette audacieuse bédéiste nous rappelle combien le féminin peut être complexe, pluriel, hétérogène,
ET libre.
Pétillante d’humour,
Pénélope n’écrit bien que ce qui l’aspire.
Prise dans ces vies, habitée par ces histoires,
Sa seule façon de s’en départir est de nous les dire.
Dans sa sage impertinence,
Elle tire son irrévérence à l’Histoire, avec un grand « H » aspiré au masculin.
Elle balaie avec désinvolture les traits figés de ce que doit être « une » femme.
Ce faisant, elle redonne chair à celles qui ont toujours été là.
Juste
ICI
En sous-texte.
Décor passé
Nous ouvre à venir
Ces héroïnes de l’ordinaire, habituelles faire-valoir,
Nous exposent aux écueils volontaires de la mémoire collective,
À l’atrophie régulière des possibles de nos fil.s.les
Ces vies s’inventent et refusent la tenue imposée.
Alors, le genre sort de son asphyxiante binarité,
À la lecture, on vole d’une traite, d’Angola jusqu’en Chine, en passant par Paris, L’Afghanistan ou la République Dominicaine.
Mais surtout, on démonte les fils de l’Istoire, en sautant les siècles, et les âges de la vie,
Pour se retrouver toutes et tous devant un désopilant constat :
Ces récits transportent bien plus que le tribut du passé.
Légers, ils inventent les traces, qui porteront nos fruits.
Boulimie de mots, d’images,
Pour rattraper le temps perdu,
Pénélope Bagieu condense et compile des brèves, des éclipses, de ces êtres déroutantes.
Elle a à cœur de les rendre attachantes.
On en sort vaincues,
Pour rêver en grand, avant de rêver en cases.
Ni fatalement femmes, ni rangées au foyer,
Décontenancé.e.s, conscientisé.e.s,
Gagné.e.s de l’allégresse
D’avoir juste le culot d’être.
Déculottée
Disponible dans toute librairie,
Indépendante.