Portraits de l’inceste
« Portraits de l’inceste » est une série de six dessins, dont trois figurent dans ce numéro, librement inspirés des photographies de Lewis Carroll. Le thème de l’inceste y est abordé dans le but de mettre des images sur cette réalité qui demeure le plus souvent absente de la place publique. Puisque historiquement l’inceste opère à l’abri des regards, en l’absence d’image et de mot, il est ici suggéré de recadrer des photographies du passé et de leur donner un nouvel éclairage afin de les rendre éloquentes au regard de ce phénomène. Les portraits abordent différents aspects du processus incestueux tels le déni de l’identité, la chosification ou encore la castration.
La première figure de la série évoque les enjeux cachés derrière le fait de nier l’identité de la victime. En bafouant son corps, en lui refusant sa dignité, l’abuseur(e) enferme la personne agressée en elle-même. Sans identité, la victime ne peut ni se voir, ni se reconnaître, ni s’identifier à quoi que ce soit puisque son histoire de vie et sa personne réelle sont dissimulées. Elle se retrouve seule, emprisonnée au fond de son être.
La seconde image concerne la chosification de l’enfant. La petite fille gantée de blanc en est réduite à sa fonction d’objet utilitaire, statut auquel la confine son agresseur qui la manipule pour jouir du pouvoir qu’il peut ainsi exercer.
La troisième planche touche au thème de la castration. Elle présente une jeune fille pourfendue par une épée « invisible ». Cette arme transparente représente le père qui devrait normalement jouer le rôle de pilier intérieur et qui se retrouve pervertie dans la dynamique incestueuse en devenant ce qui divise et brise la victime. À la pointe de l’épée, une couronne évoque l’image de la princesse qui, en apparence, vit dans une « harmonie familiale ». Les mains de la figure sont chirurgicalement tranchées, illustrant que le pouvoir est volontairement interdit à la victime d’abus. Par des « jeux » de manipulation et de dénigrement, l’abuseur(e) enlève à sa proie le droit d’exister et d’exercer sa propre volonté.
Ces phénomènes se produisent dans l’ombre et sont souvent liés à une histoire familiale qui tend à se reproduire. Le non-dit sert cette triste répétition dans l’obscurité, il vient charger le corps de la victime du poids des agressions reçues et du silence gardé sur celles-ci. L’inceste cloître invisiblement le corps.
Reconnaître en mots et en images que l’inceste fait partie de l’histoire collective pourrait-il alléger le fardeau des victimes? Serait-il possible de parler davantage d’inceste et de déconstruire les tabous qui entourent ce sujet? Simplement reconnaître ce phénomène et le mettre en lumière pourrait-il enlever du pouvoir à sa dynamique destructrice? Peut-être y a-t-il ici une forme de passage nécessaire à toute société qui cherche à vivre de façon saine et intègre.
Par des images qui suscitent une réflexion, cette série offre un espace commun de conscientisation et de dialogue. Elle cherche à emmener un peu d’air frais et à favoriser le brassage d’idées nouvelles autour de cette problématique, dans l’espoir que les réflexions qu’elle engendrera contribueront, ultimement, à un refus collectif de demeurer dans le silence et l’inaction face à l’inceste.
Bibliographie
Carroll, Lewis. 1998. Lewis Carroll. Paris : Éditions Nathan, 20p.